2 days ago
Pour une économiste, la prévoyance vieillesse doit cesser de pénaliser les jeunes
L'économiste Monika Bütler s'alarme des récentes décisions qui font payer les jeunes pour améliorer le confort des aînés. Elle plaide pour un âge de la retraite plus élevé et une meilleure valorisation des métiers techniques. Publié aujourd'hui à 10h40
«Nous avons le devoir d'offrir aux générations futures de bonnes conditions pour qu'elles puissent s'épanouir», estime l'économiste Monika Bütler.
Urs Jaudas
En Allemagne, une proposition provocante a déclenché un débat sur l'équité intergénérationnelle. Baptisée «boomer soli», elle émane de l'Institut allemand de recherche économique. L'idée est de faire contribuer les retraités aisés à la stabilisation du système de retraite par le biais d'une taxe spéciale sur l'ensemble des revenus de la vieillesse, plutôt que de faire porter le fardeau aux jeunes générations.
Qu'en est-il de l'équité intergénérationnelle en Suisse? Les jeunes sont-ils désavantagés par rapport aux «boomers» ( ndlr: personnes nées entre 1946 et 1964 )? Ou est-ce l'inverse? Nous avons posé la question à Monika Bütler. Née en 1961, cette économiste fait partie de la génération du baby-boom et compte parmi les plus influentes de Suisse. Professeure honoraire à l'Université de Saint-Gall (HSG) , elle siège également au conseil d'administration de plusieurs entreprises.
Madame Bütler, l'Allemagne discute d'un «boomer soli». Est-ce qu'il manque en Suisse un débat sur l'équité entre les générations?
C'est certain. Au plus tard depuis l'acceptation de la 13e rente AVS et la controverse sur son financement. Il n'est absolument pas équitable que les jeunes doivent financer les prestations supplémentaires des aînés, surtout par le biais de déductions salariales. La Suisse s'oriente vers une répartition injuste en faveur des générations plus âgées. Et pas seulement avec la 13e rente AVS.
Où voyez-vous d'autres injustices?
Une initiative populaire du Centre propose d'augmenter les rentes AVS des couples mariés. Les personnes âgées en tireraient profit, en particulier les plus aisées. Une fois de plus, la facture incomberait aux jeunes générations.
L'initiative du Centre dénonce le fait que les couples mariés touchent au maximum une fois et demie la rente AVS maximale, tandis que les concubins peuvent percevoir chacun une rente maximale complète. N'est-ce pas injuste?
Aucun système n'est parfait. En matière d'AVS, les couples mariés bénéficient également d'avantages par rapport aux concubins, notamment avec la rente de veuve et le partage du revenu. Globalement, les couples mariés s'en sortent mieux que les concubins.
Monika Bütler: «Aucun système n'est parfait.»
Urs Jaudas
Au-delà de la 13e rente AVS et de la revendication de rentes de couples mariés plus élevées, la suppression de la valeur locative , soumise au vote en septembre, pourrait aussi avantager les personnes âgées. Ces dernières sont bien plus souvent propriétaires de leur logement que les jeunes. De plus, elles ont généralement déjà remboursé une grande partie de leurs hypothèques.
Ici, la situation est un peu plus complexe, avec des disparités entre ville et campagne. Mais les retraités tirent également parti de cette situation.
Tous ces plans pèsent sur les plus jeunes et favorisent les plus âgés.
Oui. Je trouve cela très problématique, bien que je sois moi-même une boomeuse . Il est évident que les personnes âgées les plus démunies doivent bénéficier d'une protection financière. Grâce aux prestations complémentaires, cela fonctionne très bien en Suisse. Mais la redistribution prend une direction complètement erronée si les jeunes doivent payer encore davantage pour les retraités les mieux lotis.
Quel est le problème le plus important en Suisse: la pauvreté des personnes âgées ou celle des jeunes familles?
Sans aucun doute, la pauvreté des jeunes familles, en particulier les familles monoparentales. Mais la situation est plus nuancée que cela: dans de nombreux cas, la pauvreté des plus jeunes est temporaire.
Faut-il aussi des prestations complémentaires pour les familles?
Non, car elles réduisent l'incitation au travail et, par conséquent, la capacité à subvenir à ses besoins à long terme. Pour les mères notamment, travailler ne présenterait plus d'intérêt financier.
De nombreux jeunes se plaignent de ne plus pouvoir réaliser leur rêve de devenir propriétaires, contrairement aux baby-boomers dont les maisons ont entre-temps pris énormément de valeur. Ont-ils raison de se plaindre?
Il y a 50 ans, la plupart des jeunes familles ne pouvaient déjà pas se permettre de devenir propriétaires. Le taux de propriétaires était alors nettement plus bas qu'aujourd'hui.
De leur côté, les plus âgés soulignent avoir travaillé dur à l'époque pour s'enrichir. Selon eux, les jeunes d'aujourd'hui sont trop confortables, préférant voyager et travailler à temps partiel. Mais est-ce vraiment le cas?
C'est trop polémique pour moi. Ce qui a changé, c'est que les 20-30 ans – âge auquel on épargnait traditionnellement – sont souvent encore en formation. Comparée aux pays anglo-saxons, la formation dure très longtemps chez nous. Parallèlement à cela, nous ne sommes pas prêts à travailler plus longtemps. Cela raccourcit la période où nous cotisons pour la retraite.
Faut-il repousser l'âge de la retraite?
Oui. Nos formations durent de plus en plus longtemps et notre espérance de vie augmente . Tant que l'âge de la retraite ne bouge pas, moins d'actifs devront financer toujours plus de retraités.
À votre avis, quel devrait être l'âge de la retraite?
Les Pays-Bas, le Danemark et la Suède s'orientent depuis longtemps vers un âge de la retraite de 70 ans et plus. Si une telle réforme devait être mise en place, il faudrait évidemment prévoir des aménagements pour ceux qui ont commencé à travailler jeunes et pour ceux qui exercent des métiers physiquement pénibles.
Faut-il cesser de comptabiliser les années d'études universitaires comme années de cotisation AVS?
Je continue de trouver cette proposition pertinente, même si elle ne me vaut pas que des sympathies. Il ne s'agit pas d'une punition, mais d'une compensation pour le fait que ceux bénéficiant d'une formation financée par l'État cotisent moins longtemps, alors qu'ils vivent en moyenne plus longtemps que les personnes sans formation universitaire.
La Suisse pourrait manquer de 400'000 travailleurs et travailleuses d'ici à 10 ans, selon la Banque nationale suisse. En cause: le départ à la retraite de la génération des baby-boomers. Y voyez-vous un problème?
Je reste prudente face à ce type de prévisions. Il ne s'agit pas simplement d'une pénurie de 400'000 personnes dans les années à venir. Certaines estimations annoncent même la suppression de nombreux emplois avec l'essor de l'intelligence artificielle. Ce qui est certain, c'est que plusieurs secteurs manquent cruellement de personnel: l'artisanat, les métiers techniques ou encore les soins. Déjà aujourd'hui, 50% des ingénieurs viennent de l'étranger. D'autres domaines disposent en revanche d'une main-d'œuvre suffisante. Le départ à la retraite des baby-boomers va encore creuser ce déséquilibre. Il faudrait donc miser sur les qualifications recherchées par le marché du travail.
Comment?
En tant qu'économiste, la première chose qui me frappe, c'est notre système salarial: aujourd'hui, le salaire dépend étroitement de la durée de formation. En Australie, à l'inverse, les techniciens et les artisans gagnent souvent le double des professeurs.
Si la demande est si forte, pourquoi les salaires dans l'artisanat et les métiers techniques ne dépassent-ils pas ceux des diplômés universitaires en Suisse?
Parce que la structure des salaires ne dépend pas uniquement de l'offre et de la demande. En Suisse, 40% des emplois relèvent du secteur public ou semi-public. D'autres règles s'y appliquent, que les entreprises privées ne peuvent ignorer si elles veulent rester compétitives sur le marché du travail. L'État porte donc une part de responsabilité dans cette structure salariale déséquilibrée. Je comprends les parents qui disent à leurs enfants: «Fais des études, tu gagneras plus.»
La Suisse a-t-elle besoin d'un «boomer soli», comme il en est question en Allemagne?
Non. Contrairement à l'Allemagne, la Suisse pratique déjà une forte redistribution entre riches et pauvres dans l'AVS. Plus de 80% des assurés touchent davantage qu'ils n'ont jamais cotisé. Ils bénéficient du fait que même les plus hauts revenus cotisent sur l'intégralité de leur salaire, alors que la rente est ensuite plafonnée. Aucun autre pays ne redistribue autant dans le 1ᵉʳ pilier. Par ailleurs, la Suisse dispose d'un 2e pilier qui redistribue moins des jeunes vers les aînés.
Les boomers doivent-ils quelque chose aux générations suivantes?
Nous avons le devoir de leur offrir de bonnes conditions pour qu'ils puissent s'épanouir: un budget national peu endetté et des assurances sociales solidement financées. Il va de soi que nous devrions également mieux préserver l'environnement et le climat.
Traduit de l'allemand par Olivia Beuchat
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Autres newsletters Andreas Tobler est journaliste. Il a étudié à Berne et à Berlin. En 2021, il a été élu journaliste culturel suisse de l'année. Plus d'infos @tobler_andreas Iwan Städler est journaliste à la rubrique nationale à Zurich. Il a été membre de la rédaction en chef de Tamedia entre 2018 et février 2023. Il est lauréat du prix zurichois du journalisme. Plus d'infos @Iwan_Staedler
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